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Message n°18 : Les 2 dentines usées.


         Même si beaucoup de gens très brillants travaillent sur ce sujet d’actualité, le Dr Francesca Vailati (http://cidae.be/2013/orateurs/francesca-vailati/) est certainement la personne qui a le plus fait avancer les traitements des patients atteints par des usures sévères. J’ai eu la chance de présenter une conférence avec elle à Bruxelles en décembre 2013 au CIDAE, congrès superbement organisé par mon ami Alain Perceval. A cette occasion j’ai préparé un ensemble de réponses aux questions que se posait Francesca. Suite à l’insistance de mon amie Adriana Agachi, je propose de poster ici l’essentiel de mes réponses.

Pour ce premier message, je souhaite développer ce qui me semble le préalable : il existe 2 types de dentine usée.

La dentine usée en phase active, caractéristique des dents des patients boulimiques, à cinétique d’usure rapide, est une dentine continuellement agressée par l’attaque acide. Les espaces intertubulaires et péritubulaires sont superficiellement déminéralisés, les tubules sont largement ouverts, la perméabilité de la dent est forte (Schluete et al, 2012). La trame organique collagénique de la dentine est exposée et joue un rôle important que nous décrirons plus tard. Sur le plan clinique cela se traduit pas une dentine jaune claire, avec un patient qui présente des sensibilités.

La dentine usée en phase non active, à cinétique d’usure lente, est ce qu’on appelle une dentine sclérotique.  Ici la dentine est fortement minéralisée, notamment avec une dentine péritubulaire très volumineuse, à tel point qu’elle obstrue quasiment totalement les orifices tubulaires. Il existe une couche superficielle hyperminéralisée d’environ 15 µm qui est difficilement attaquable par l’acidité bactérienne (Kwong et al, 2000). Sur le plan clinique cela se traduit par une dentine colorée (au cours du temps les chromophores du milieu buccal s’incorporent dans le processus d’hyperminéralisation) et un patient qui ne présente pas de sensibilités.

Cette distinction des 2 dentines usées permet de comprendre (j’y reviendrai) beaucoup de choses : le diagnostic, le pronostic pulpaire, la nécessité ou pas du scellement dentinaire immédiat, les traitements de surface avant collage…etc.

Je vais commencer par le pronostic pulpaire.
On peut être très surpris que malgré une perte de substance importante, la plupart des dents usées (en phase non active) présente une pulpe vitale. Certains pourraient dire que le potentiel réparateur pulpaire est forcément entamé et que la nécrose de ces dents est inéluctable. Loin de là ! Une étude de Rees et al (2011) évalue la prévalence de pathologie périapicale sur 54 patients (âge moyen 48 ans) atteints d’usure sévère. Il montre que sur 523 dents, seules 5 dents (soit 0,96%) présentent une lésion apicale non diagnostiquée. Ce chiffre est très faible et je me suis amusé à le comparer avec le pourcentage de lésions apicales non diagnostiquées sur des dents pulpées (>1,6%, Cf Table 1 de Lupi-Pegurier et al, 2002) : il est inférieur !!!!
Rees et al. expliquent ce résultat par une réaction de défense efficace du complexe dentino-pulpaire à des agressions répétées sur du long terme. Les auteurs concluent qu’il faut garder ces dents vivantes (et le collage est une des façons évidentes de le permettre) et remettent même en question les examens radiographiques systématiques qu’on pourrait avoir envie de réaliser sur ces dents très usées.

Ce n’est évidemment pas le cas sur une dentine usée en phase active, par exemple chez le jeune patient boulimique où la protection dentinaire est urgente pour éviter la pénétration bactérienne et donc une nécrose.

Suite au prochain numéro…

Références :

-       Kwong SM, Tay FR, Yip HK, Kei LH, Pashley DH. An ultrastructural study of the application of dentine adhesives to acid-conditioned sclerotic dentine. J Dent. sept 2000;28(7):515‑528.
-       Lupi-Pegurier L, Bertrand M-F, Muller-Bolla M, Rocca JP, Bolla M. Periapical status, prevalence and quality of endodontic treatment in an adult French population. Int Endod J. août 2002;35(8):690‑697.
-       Rees JS, Thomas M, Naik P. A prospective study of the prevalence of periapical pathology in severely worn teeth. Dent Update. févr 2011;38(1):24‑26, 28‑29.
-       Schlueter N, Glatzki J, Klimek J, Ganss C. Erosive-abrasive tissue loss in dentine under simulated bulimic conditions. Arch Oral Biol. sept 2012;57(9):1176‑1182.


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