Message n° 19 : Les taches de l’émail : comment nous avons proposé et fait évoluer le traitement ultraconservateur moderne par érosion/infiltration
Cela fait maintenant près de 5 ans que je travaille avec mon
ami le Dr Gil Tirlet sur le traitement des taches blanches de l’émail, grâce au
nouveau procédé d’érosion/infiltration.
Ce procédé consiste en une infiltration de résine dans la
lésion hypo (ou dé) minéralisée, après élimination très superficielle par
érosion à l’acide chlorhydrique d’une très fine couche d’émail (autour de 40
µm). Il a été initialement préconisé par les inventeurs pour stopper les caries
débutantes notamment dans le secteur postérieur. Pour cette indication, les
résultats des études cliniques (avec 3 ans de recul) montrent que cela
fonctionne bien (1). Les mêmes auteurs ont
mis en évidence qu’à l’occasion de cette infiltration un phénomène optique
permettait le masquage de la tache (2). Ce masquage est inutile
dans le secteur postérieur mais peut rendre de grands services dans le secteur
antérieur, notamment pour traiter les taches blanches de l’émail qui peuvent
apparaître après certains traitements orthodontiques (3).
C’est à la lecture de cet article que nous avons, avec Gil,
imaginé traiter d’autres lésions de l’émail (4). Celles liées aux
fluoroses, aux traumas de la dent temporaire et aux MIH (Hypominéralisation
Molaire et Incisive). Très vite nous avons pourtant compris que les taches
liées aux MIH ne pouvaient pas être traitées par cette technique étant donné la
situation profonde (qui démarre à la jonction émail/dentine) de la lésion (5). C’est pourquoi nous
avons proposé l’infiltration superficielle dans le cas des fluoroses et des
taches post traumatiques, en contre-indiquant cette technique pour les MIH.
Cette proposition fonctionnait très correctement avec 19 mois de recul (6). Les taches étaient,
soit totalement, soit partiellement masquées en fin de séance. Mais les
patients étaient toujours très satisfaits par ce masquage obtenu sans un seul
coup de fraise ! D’ailleurs notre expérience a montré que, bizarrement, le
résultat s’améliorait avec le temps. Cette amélioration dans le temps,
constatée par d’autres auteurs (7), est difficile à
comprendre. A ce jour notre hypothèse fait intervenir l’absorption secondaire de
l’eau résiduelle au sein de la lésion par la résine d’infiltration. Cette
absorption diminuant les interfaces optiques pourrait améliorer l’effet de
masquage. Mais cela reste à démontrer.
L’autre question qui était soulevée à l’époque concernait la
coloration de cette résine dans le temps. Les seuls cas où nous avons constaté
une coloration de la résine étaient ceux où nous n’avions pas réalisé une
polymérisation sous glycérine suivie par un polissage minutieux. Ce que nous
préconisons maintenant systématiquement. Les inventeurs de la technique
publient une étude montrant que la coloration dans le temps est négligeable
après un tel polissage(8). Une série de cas
confirme leurs conclusions(3), d’autres études in
vitro, au contraire, mettent en garde sur le risque de coloration dans le temps
(9)(10). J’ai contacté Flavia
Cohen-Carneiro, une consoeur brésilienne auteure du 2ème article
cité, qui m’a assuré que les échantillons testé avaient été pourtant
parfaitement polis.
Donc le bilan était positif mais il existait des cas, alors même
que le patient était satisfait de l’amélioration, où le masquage était
incomplet. Sans compter tous les cas de MIH (15% de la population française)
que nous contre-indiquions ! Voilà où nous en étions début 2012.
Puis il m’est arrivé un cas de lésion traumatique profonde où
je n’ai pas réussi à obtenir un masquage après érosion superficielle. Revenant
à mes habitudes de dentisterie restauratrice, j’ai décidé d’éliminer, à la
fraise, une bonne partie de la lésion. Je me suis retrouvé devant un
« placard » blanc que je n’ai pas réussi à masquer par stratification
de composite après mise en place d’un adhésif classique. En effet, ne voulant
pas trop mutiler la dent, je n’avais guère que 1 mm d’épaisseur pour la stratification.
Cet échec m’a permis de proposer, la première fois en juin 2012, ce que nous
appelons maintenant l’infiltration en profondeur (11). Si j’avais infiltré le
placard blanc en profondeur (et non simplement mis en place un adhésif), j’aurais
transformé le support amélaire opaque en le rendant translucide. La
stratification aurait été un jeu d’enfant car je n’avais rien à cacher avec le
composite. Pourquoi n’y ai je pas pensé ? Tout simplement car la technique
d’érosion-infiltration était initialement prévu sans aucun fraisage. Je venais
de me rendre compte que, même après
fraisage, l’infiltration était très utile.
Après de nombreux échanges avec les 2 brillants jeunes
confrères qui nous ont rejoints dans cette aventure (les Dr Maud Denis et
Antony Atlan), nous sommes parvenus à la rédaction d’un protocole de traitement
de toutes les taches quelque soit leur étiologie (12)(13)(14). Ainsi en fonction des
situations cliniques nous appliquons l’infiltration superficielle ou
l’infiltration en profondeur, parfois les 2 lorsque par exemple le patient
présente une fluorose et une MIH… Les résultats sont encore bien meilleurs que
ceux de l’infiltration superficielle. Je vous laisse lire les articles pour
vous en convaincre.
Dans un prochain message je vous dirai, 2 mots sur 2 thérapeutiques
plus anciennes et compatibles avec ce procédé : l’éclaircissement dentaire
et la micro-abrasion contrôlée.
Références
bibliographiques
1. Meyer-Lueckel H, Bitter K, Paris S. Randomized controlled
clinical trial on proximal caries infiltration: three-year follow-up. Caries
Res. 2012;46(6):544-548.
2.
Paris S, Meyer-Lueckel H. Masking
of labial enamel white spot lesions by resin infiltration--a clinical report.
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3.
Eckstein A, Helms H-J, Knösel M.
Camouflage effects following resin infiltration of postorthodontic white-spot
lesions in vivo: One-year follow-up. Angle Orthod. 15 août 2014;
4.
Tirlet G, Attal J-P.
L’érosion/Infiltration: une nouvelle thérapeutique pour masquer les taches
blanches. Inf Dent. 2011;(4):2-7.
5.
Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet
G, Attal J-P. White defects on enamel: diagnosis and anatomopathology: two
essential factors for proper treatment (part 1). Int Orthod Collège Eur Orthod.
juin 2013;11(2):139-165.
6.
Tirlet G, Chabouis HF, Attal J-P.
Infiltration, a new therapy for masking enamel white spots: a 19-month
follow-up case series. Eur J Esthet Dent Off J Eur Acad Esthet Dent.
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7.
Kim S, Kim E-Y, Jeong T-S, Kim J-W.
The evaluation of resin infiltration for masking labial enamel white spot
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2011;21(4):241-248.
8.
Paris S, Schwendicke F, Keltsch J,
Dörfer C, Meyer-Lueckel H. Masking of white spot lesions by resin infiltration
in vitro. J Dent. 11 avr 2013;
9.
Rey N, Benbachir N, Bortolotto T,
Krejci I. Evaluation of the staining potential of a caries infiltrant in
comparison to other products. Dent Mater J. 2014;33(1):86-91.
10.
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Christino MRC, Vale HF do, Pontes DG. Color stability of carious incipient
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juill 2014;24(4):277-285.
11.
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Tirlet G. L’infiltration en profondeur : un nouveau concept pour le masquage
des taches blanches de l’émail. Partie 1. Inf Dent. 2013;(19):74-79.
12.
Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet G,
Attal J-P. Nouveau concept pour le masquage des taches de l’émail.
L’infiltration en profondeur Partie 2. Traitement d’une fluorose sévère.
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13.
Attal J-P, Denis M, Atlan A, Vennat E,
Tirlet G. Nouveau concept pour le traitement des taches blanches.
L’infiltration en profondeur. Partie 3. Traitement d’une MIH sévère.
Information Dentaire. 2014;
14.
Attal J-P, Atlan A, Denis M, Vennat E,
Tirlet G. White spots on enamel: Treatment protocol by superficial or deep
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